La technologie, les transformations socio-économiques et les changements budgétaires et démographiques contraignent l'industrie de la santé, surtout la pharma, à changer ses modèles économiques. Son système se réorganise autour du patient, pris en charge avant le diagnostic et après le traitement.
L'industrie de la santé est à la croisée des chemins.
Continuer d'innover dans un contexte de fortes contraintes budgétaires
constitue un enjeu cardinal, en particulier pour les laboratoires
pharmaceutiques. La solution ? Les innovations de rupture, mais pas
seulement. C'est aussi et surtout dans leurs modèles que les acteurs de la
santé doivent se transformer. Le changement de modèle économique est rendu
obligatoire par des budgets santé disponibles plus limités dans un contexte d'augmentation
des dépenses de santé per capita engendrée par l'allongement et la chronicité
des maladies. « Les nouveaux médicaments qui arrivent sur le marché,
notamment ceux de la biotech, sont destinés à des populations plus réduites ou
qui parviennent à guérir des maladies autrefois chroniques. L'espace ou la
période de retour sur investissement sont donc réduits », confirme Cédric Foray, associé EY Advisory.
Contrairement aux télécoms il y a cinq ans, la biopharma
n'est pas au pied du mur. « Elle est assise sur un modèle qui fonctionne
et qui reste profitable, donc même si, intellectuellement, le changement
est une nécessité adoptée et comprise, dans les faits, il n'y a pas d'urgence.
Cela prend aussi du temps car la santé est un marché de temps long »,
explique Lionel Reichardt, dirigeant de 7C'S Health, blogueur et conférencier.
Mais la réinvention est tellement inévitable qu'elle est déjà entamée :
primo, par les avances scientifiques post-génomiques ; secundo, par la
technologie opérationnelle qui transforme le secteur manufacturier avec la robotique,
l'impression 3D, l'IoT (objets connectés) ; et enfin, tertio, par plusieurs facteurs socio-économiques.
Lesquels ?
« Une
population vieillissante, l'émergence d'un patient connecté, proactif et
émancipé, dont les demandes sont forcément différentes, et l'accroissement des
contraintes de coûts, que ce soit aux USA ou dans un système de mono-payeur
comme en France,
qui rend la valeur démontrée plus importante que le volume », répond Françoise Simon, professeure émérite à l'Université de Columbia et à
l'Ecole de médecine de Mont Sinaï. Pour comprendre les explications du nouvel
écosystème en formation, il faut gratter sous la carapace de la transformation
qui frappe la pharma. Elle s'organise en quatre axes.
« Le vrai sujet, c'est la réorganisation du système autour du patient. »
Premier axe, l'impact des grandes sociétés d'infotech. « Elles ont
réalisé des investissements majeurs dans la santé, chacune avec une stratégie
différente. Du côté des consommateurs, Apple est à la pointe avec l'iPhone
Health et l'Apple Watch. Côté recherche, IBM, avec Watson Health, offre de nouvelles
solutions d'analyse clinique et de base de données - notamment dans la
génomique - pour permettre une médecine de précision, c'est-à-dire le bon médicament,
au bon patient, au bon moment. Alphabet (la holding de Google) est très impliquée
dans la biopharma, que ce soit avec Calico ou Verily. On ne sait pas encore aujourd'hui
dans quelle mesure cette transformation sera pérenne ou optimisée. De même, le
rôle des géants de l'infotech dans la santé n'est pas encore clair :
seront-ils des facilitateurs, des 'disrupteurs' ou bien les deux ? »,
développe Françoise Simon.
« Le rôle des géants de l'infotech dans la santé n'est pas encore clair : seront-ils des facilitateurs, des "disrupteurs" ou bien les deux ? » Françoise Simon - professeure émérite à l'université de Colombia et à
l'Ecole de médecine de Mont Sinaï
Deuxième axe, l'émergence d'un marketing de précision
soutenu par une stratégie centrée autour du patient. Les modèles changent, pour
passer à une approche ciblée. Les raisons ? « Premièrement, un
changement des portefeuilles de produits. Les thérapies ciblées remplacent les
blockbusters de masse, surtout en oncologie et dans les maladies rares qui ont
de plus petites populations. Deuxièmement, l'avènement de consommateurs
connectés qui ont accès en ligne à des données scientifiques », détaille
Françoise Simon.
Le marketing de précision permet aussi une compréhension du
parcours patient, du stade pré-diagnostique au stade post-traitement. « Donc
là où la pharma traditionnelle s'occupait du patient une fois qu'il avait sa
prescription, elle s'intéresse désormais à l'ensemble du parcours patient »,
constate Françoise Simon. La stratégie dite du « beyond the pill » est née.
La
restructuration de la chaîne de valeur se recentre donc sur le patient, c'est
le troisième axe. « L'e-santé n'est qu'un aspect, pas le vrai
sujet, qui est la réorganisation du système de santé autour du patient », confirme Virginie Lefebvre-Dutilleul, avocat associé chez EY Société d'Avocats. « Elle
concerne les trois stades de la chaîne, précise Françoise Simon. La recherche,
la production et la tarification. » Logiquement, le quatrième axe de la transformation est ce nouveau besoin de démontrer la valeur clinique et économique aux
patients, aux médecins et aux assureurs.
La fin des simples fournisseurs d'appareils et de médicaments ?
Puisque la pharma n'est plus seulement attendue sur la
fourniture de médicaments, mais sur des résultats, le laboratoire est contraint
de prouver que son médicament est efficace dans la vie réelle. Deux nouveaux
logiciels imposent donc de nouvelles logiques : le « risk sharing »
et l' « outcome-based ». « Ils obligent à sécuriser la
prescription de la molécule par la limitation du champ potentiel des patients
et créent donc les prémices d'une médecine personnalisée », assure Cédric
Foray. Pour l'associé conseil d'EY, l'observance, c'est-à-dire
l'adéquation entre le comportement du patient et le traitement proposé,
constitue un autre sujet capital au cœur de la pharma du futur : « Elle
devient clé, car dans la nouvelle logique de résultat dans la vie réelle, son
taux impacte les médicaments. On a des acteurs qui passent de fournisseurs
d'appareils et de médicaments à des acteurs plus empiriques du système de santé ».
Si
la révolution technologique permet le recentrage, le défi est de faire travailler
ensemble des acteurs qui, pour l'instant, sont encore en silos. La réorganisation
des nouveaux modèles économiques passe par trois conditions sine qua non. « Primo,
une nouvelle gouvernance entre les acteurs pour trouver les bons modes de
décision partagée. Secundo, la mise en place d'un nouveau protocole de
responsabilités. Les acteurs ont encore du mal à aller au-delà de leurs zones d'activités
habituelles. Tertio, la confiance, sans laquelle l'e-santé ne fonctionnera pas.
Son absence pose plus de problèmes aujourd'hui que la réglementation », argumente
Virginie Lefebvre-Dutilleul.
La santé n'est pas encore « uberisée »
Dans
une industrie où le risque de « disruption » n'est pas encore perçu comme une réalité, l'e-santé
et la santé connectée sont au cœur de ces « traitements associés à un
service qui, dans le futur, seront vendus en plus des boîtes de médicaments par
les entreprises de santé », explique Éric de Branche, directeur de la
communication du LEEM.
« Mais les promesses de l'e-santé restent à
prouver, or la santé a besoin de preuves et il n'y a pas encore d'uberisation, relativise Lionel Reichardt.
A lire aussi sur notre plateforme santé Vital Signs :
Au bout du compte, en France, l'État est le seul
payeur, donc entre le produit payant et celui qui est remboursé, le patient
fait vite son choix ». Le chemin est encore long, mais une première étape
devrait être franchie en 2017 avec Diabéo, la première solution de santé
remboursée en France.
« La convergence entre les laboratoires et les GAFA est déjà entamée car la santé de demain ne se fera pas chacun dans son coin mais en associant plusieurs experts »Lionel Reichardt - dirigeant de 7C'S Health
La biopharma doit aujourd'hui travailler avec deux types
d'acteurs : les géants comme Google, Facebook et IBM Watson, et les
startups et PME, qui apportent des briques de solutions utilitaires. « Big
pharma et big tech ne sont pas opposées, mais partenaires. Ce sont des acteurs
qui ont parfois les mêmes intérêts, comme autour d'une pathologie, de l'observance
ou des changements de comportements. Il y a un intérêt à la convergence, qui
est déjà entamée, car la santé de demain ne se fera pas chacun dans son coin,
mais en associant plusieurs experts. Les laboratoires et les GAFA ont compris qu'ils
ne pouvaient pas y aller tout seuls », expose Lionel Reichardt.
Entre les labs, les « hackathon », les
partenariats avec les startups et les incubateurs, les mastodontes de la pharma
disposent déjà de la boîte à outils de la transformation. Ils ont encore du mal
à changer leur culture et à se numériser. « Mais ils sont d'accord pour
challenger leur modèle plus rapidement. De l'autre côté, les GAFA ont
conscience qu'ils vont devoir entrer dans le temps long dont a besoin l'approche
technico-médicale pour prouver que ses promesses peuvent être tenues et
tenables », complète Lionel Reichardt. Dans la littérature populaire, on
appelle ça une rencontre au milieu du gué. Elle va obliger les acteurs à
trouver le modèle de l'e-santé de demain.
« Innover n'est pas évident dans la santé. Elle a
besoin de patrons visionnaires qui prennent des risques en acceptant de
s'ouvrir et de travailler avec des partenaires privés et publics, sans avoir
encore une vision claire à 100 % du modèle économique », conclut
Cédric Foray.
Données personnelles
Données personnelles
78% des Français sont favorables au partage de leurs données santé avec les professionnels.
78% des Français sont favorables au partage de leurs données santé avec les professionnels.
Applications mobiles
Applications mobiles
En 2016, 17% des Français utilisaient des applications d'e-santé.
En 2016, 17% des Français utilisaient des applications d'e-santé.
Objets connectés
Objets connectés
Les wearables (bracelets, montres ou tous vêtements connectés) représentaient en 2015 60 % du marché des appareils médicaux connectés.
Les wearables (bracelets, montres ou tous vêtements connectés) représentaient en 2015 60 % du marché des appareils médicaux connectés.
La nouvelle stratégie d'acquisition des "big pharmas" est-elle un choix de transformation profonde ?
Marc - André Audisio
Associé EY Transaction Advisory Services
C'est un changement structurel qui s'est confirmé en 2016. À l'image de Sanofi, les laboratoires pharmaceutiques se séparent de certaines activités pour se concentrer sur les plus porteuses, notamment l'oncologie, le diabète et les thérapies des maladies auto-immunes. Le secteur de la pharma s'est tout le temps restructuré, sans jamais se reposer sur ses lauriers. C'est de plus en plus vrai aujourd'hui, avec la pression des organismes payeurs dans un contexte où les big pharmas sont challengées par les laboratoires spécialisés de taille intermédiaire et les biotechs.
Primo, les big pharmas sont confrontées à une nouvelle problématique de rentabilité, due à la pression des organismes payeurs sur les prix et leur analyse de la valeur ajoutée des médicaments pendant les traitements. Secundo, elles ont été aveuglées par les résultats positifs, la création de valeur, la hausse des valorisations boursières et ne se sont pas rendu compte d'un écart de croissance persistant avec le marché. Elles sont donc obligées de se lancer dans les programmes d'acquisition dans un contexte de changement de stratégie : désormais, les big pharmas recherchent le leadership dans un portefeuille de thérapies réduit.
Ce choix, de se focaliser sur un nombre de marchés moins important, leur permet de se doter d'un arsenal de médicaments apte à proposer une thérapie complète et être en positon de force avec les organismes payeurs. En 2013 et 2014, les laboratoires spécialisés ont profité de la baisse d'activité des big pharmas en fusion-acquisition, mais ils sont aujourd'hui fragilisés et devenus des proies.
La réglementation est-elle un frein à la réorganisation du système de santé autour du patient ?
Virginie Lefebvre-Dutilleul
Avocat associé, EY Société d'Avocats
Il ne faut pas confondre l'outil et le fond. La révolution technologique permet le recentrage, mais il faut arriver à faire travailler ensemble les acteurs qui, pour l'instant, sont encore en silos. Selon moi, la réglementation n'est pas un frein, mais peut, au contraire, être saisie comme un aiguillon. Par exemple, l'interdiction de faire de la publicité « directe au consommateur » est une contrainte qui n'est pas insurmontable. Elle oblige les entreprises à inventer un nouveau mode d'interactions agnostiques sans référence déguisée au produit. C'est une réponse possible au développement de la logique de services dite « Beyond the pill ».
Trouver de nouveaux espaces, former de nouvelles équipes, créer de nouveaux postes comme « Chief Patient Officer », qui ne dépendent pas du marketing, sont aussi des solutions.
Il est vrai que l'e-santé va ouvrir un large champ de questions juridiques, par exemple le droit à la déconnexion, inscrit dans la loi Travail votée l'an passé, vue du côté des patients : serai-je remboursé si je ne suis pas connecté ? S'agissant des données personnelles, un nouveau règlement européen va entrer en vigueur en mai 2018. Il met en place un cadre harmonisé et donne de la prévisibilité. C'est un texte extraterritorial, donc imposable aux Gafa, passible de pénalités pour non-respect des règles allant jusqu'à 4 % du chiffre d'affaires mondial. Ce texte fixe un cadre juridique protecteur qui doit renforcer la confiance de l'ensemble des utilisateurs sur la protection et la confidentialité des données.
Quel modèle économique dans l'ère de la pharma 3.0 ?
Cédric Foray
Associé EY Advisory
Traditionnellement, le secteur misait sur les
« blockbusters » vendus au plus grand nombre et qui rapportent
énormément. L'enjeu était de mettre le médicament sur le marché au plus vite et
ensuite, d'aller convaincre les médecins de le prescrire. C'est ce qu'on a
appelé la Pharma 1.0. Les laboratoires ont étendu leur offre en proposant
des portefeuilles de médicaments diversifiés. Aujourd'hui, nous sommes dans
l'ère de la Pharma 3.0, où il ne s'agit plus de proposer une simple molécule,
mais une solution plus complète de prise en charge du patient, incluant
notamment des services pour améliorer l'efficacité du système de soins. Les
labos mettent le patient et les payeurs au cœur du système et n'hésitent plus à
monter des partenariats avec les acteurs technologiques. Ils prennent désormais
en compte le parcours de soins de bout en bout, de la prévention jusqu'au traitement.
Le « big data », les capteurs connectés et les
applications mobiles permettent d'affiner l'analyse d'observance, des résultats
thérapeutiques des patients en cours de traitement, ainsi que les effets
secondaires. Ces données peuvent aussi faciliter la découverte de nouvelles
corrélations entre produits et pathologies. La prescription est plus fine et
peut s'accompagner de tests diagnostiques compagnons pour choisir le bon
traitement. Demain, l'étude du profil ADN du patient permettra aussi de mieux
orienter les traitements. Cette évolution est inéluctable, car les futurs
mécanismes de paiement des médicaments vont s'appuyer sur le suivi en vie
réelle des patients. C'est un système dans lequel le payeur est gagnant puisque
l'amélioration des traitements devrait se traduire par une économie des frais
d'hospitalisation.
Vos données personnelles sont uniquement utilisées pour vous envoyer la newsletter EY « La question de
la semaine ». Vous pouvez à tout moment vous désinscrire en utilisant le moyen de désabonnement indiqué
dans la newsletter. Pour en savoir plus sur la gestion de vos données et vos droits, veuillez consulter lesconditions générales d’utilisation du Site.