Pour la première fois de son histoire, l'espèce humaine détient l'opportunité d'avoir une influence sur son évolution et sur sa propre descendance, à travers le binôme homme-machine et l'émergence d'un corps et d'un cerveau augmentés. Face à cet accroissement technologique des capacités humaines dans le réel, le numérique et le virtuel, l'intelligence augmentée fait entrer l'Homme dans une nouvelle civilisation. Alors que les conséquences de l'avènement inéluctable de l'homme ultraconnecté sur sa productivité, sa mobilité, sa réflexion et sa créativité sont encore inconnues, les effets de cette mutation se font déjà sentir. Nous n'en sommes qu'au début, une mutation est en marche.
En
cause ? L'Intelligence artificielle (IA), les technologies
virtuelles, l'Internet of Things (IoT), les objets connectés.
L'ultra-numérisation de nos sociétés programme l'avènement de
l'Homme augmenté. Espace de performance, de rassemblement social
et de partage, l'entreprise est forcément au cœur de ces
questions fondamentales. Dans sa mutation digitale en cours, elle
s'approprie déjà la technologie pour créer les premiers modèles
de l'Homme augmenté, grâce notamment, aux réalités virtuelle et
augmentée et aux capteurs de données.
« Il
est possible d'imaginer et de décliner les usages des réalités
virtuelle et augmentée pour presque tous les métiers de
l'entreprise. Cependant, seules les solutions économiquement
viables, dont le retour sur investissement sera démontré à travers une amélioration de
la productivité, de la qualité, de la sécurité, des conditions de
travail, y trouveront leur place dans l'entreprise »,
explique Emmanuelle Garnaud-Gamache, directrice du développement
international à l'Institut de recherche technologique b;>com.
L'industrie aéronautique, automobile, ferroviaire, navale et de
l'énergie, ainsi que les industries manufacturières sont
pionnières dans le déploiement des solutions de réalité virtuelle
(RV) pour réduire la durée et le coût des phases de conception. On
commence aussi à trouver des systèmes de réalité augmentée (RA)
dans les usines pour des tâches de contrôle qualité et, depuis
peu, pour de l'assistance au montage ou à la maintenance. »
Le professionnel augmenté, déjà une réalité industrielle
Avec
la diminution du prix de leurs supports, ces technologies devraient
progressivement toucher un nombre croissant de secteurs. Par contre,
elles devront encore progresser pour atteindre un niveau de confort
d'usage et démontrer un risque sanitaire nul. « Le monde
industriel, celui du bâtiment et des travaux publics comptent déjà
des professionnels augmentés dans leurs équipes ! De même, le
monde de la médecine et notamment de la chirurgie, déjà habitué à
la cobotique (ou robotique collaborative), pourrait adopter
rapidement les "super pouvoirs" de visualisation,
d'analyse, d'aide au geste ou au diagnostic. À moyen terme, une
multitude de métiers seront impactés, à travers des dispositifs
intégrés dédiés à une tâche précise ou des périphériques RA
ou RV connectés à un smartphone ou à un ordinateur », prédit
Emmanuelle Garnaud-Gamache.
Quid
des capteurs d'émotions déjà utilisés par certaines marques en
quête de marketing prédictif et customisés en temps réel, comme
Uniqlo au Japon ? « L'analyse des émotions et du
subconscient relève de l'intime et beaucoup de marques et
d'entreprises refusent d'en avouer son usage.
Il existe
aujourd'hui plusieurs méthodes de mesure des émotions, comme
l'EEG, le tracking des yeux et des pulsions cardiaques, mais pour
qu'elles se développent, il faut clairement définir le but de
leur utilisation et l'application de la data collectée »,
répond Kei Shimada, directeur global de l'innovation et du
développement business chez Dentsu.
La prospective est un futur déjà mort
Dans
ce paysage annonciateur d'un futur immuable, quelle sera la place
de l'homme dans cette entreprise augmentée. Selon le Forum
économique mondial de Davos, plusieurs millions d'emplois
supplémentaires auront été remplacés ou seront occupés par des
robots dans les quatre prochaines années. Dans son étude
« Artificial Intelligence and Life in 2030 »,
l'université de Stanford, aux États-Unis, assure, de son côté,
que l'intelligence artificielle va faire naître « un nombre
croissant d'applications utiles pour nos sociétés et nos
économies d'ici à 2030 », et que « l'automatisation
va remplacer des tâches répétitives, mais pas forcément des
emplois ».
« Le robot peut permettre de soulager l'homme dans certaines tâches, ce dernier se concentrant alors sur des choses à plus forte valeur humaine ajoutée »Pierre Louette - Directeur général délégué d'Orange
L'homme
augmenté peut-il donc être une réponse de l'homme à la prise de
pouvoir de l'intelligence artificielle ? « On aura
toujours besoin d'humains en plus de la robotisation. Le robot peut
permettre de soulager l'homme dans certaines tâches, ce dernier
se concentrant alors sur des choses à plus forte valeur humaine
ajoutée. Cette valeur-là, il en reste beaucoup à inventer pour
demain. Je rejoins le futurologue Bertrand de Jouvenel quand il dit
que la prospective est un futur mort, rétorque Pierre Louette, DG
délégué d'Orange. Nous ne sommes pas encore au stade des
employés robotisés, même si j'ai entendu qu'un cabinet
d'avocats avait annoncé vouloir acheter un robot juriste. »
Il poursuit : « Orange développe des interfaces robotisées,
par exemple dans l'après-vente, quand le robot vient cerner le
besoin d'un client qui rentre dans une boutique. Mais on voit bien
à quel point il y a une demande d'humain et c'est pour cela
qu'aujourd'hui Orange n'est pas en situation de penser
complètement à cette robotisation. »
Le robot chirurgien
Le robot chirurgien
10,2% de croissance entre 2014 et 2020 pour les robots chirurgicaux, comme l'assistant chirurgical Flex Robotic System
10,2% de croissance entre 2014 et 2020 pour les robots chirurgicaux, comme l'assistant chirurgical Flex Robotic System
Le robot supervendeur
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1 livraison toutes les 30 minutes par Amazon grâce aux robots Kiva largement utilisés dans ses entrepôts
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Le robot chef cuisinier
Le robot chef cuisinier
400 burgers préparés en une heure : c'est la productivité de Momentum Machines et PancakeBot, aux États-Unis
400 burgers préparés en une heure : c'est la productivité de Momentum Machines et PancakeBot, aux États-Unis
L'augmentation physique irréversible, un mythe ?
Cela
ne veut pas dire que l'employé Orange ne peut pas être augmenté
par les nouvelles technologies. Après tout, le monde du travail peut
très bien façonner un homme augmenté qui lui est dédié et qui
réponde spécifiquement à ses problématiques. « Mais il faut
clarifier la notion d'homme augmenté, ou surhomme, dont il est
question ici, estime Raja Chatila, directeur de recherche au CNRS et
directeur de l'ISIR. Pour parler de véritable augmentation, il
faudrait que celle-ci soit physiquement irréversible. Des implants,
des prothèses qui transforment physiquement ou mentalement l'homme,
de manière définitive. Dans ce cas, je ne vois pas cela arriver.
Non seulement parce que ce serait contraire à toute législation,
mais aussi parce que ce serait inutile. Il serait certainement plus
simple de concevoir des machines appropriées. »
« Il y aura des emplois qui vont disparaître et il y aura une augmentation de la productivité grâce à ces technologies »Raja Chatila - Directeur de recherche au CNRS et directeur de l'ISIR
Le
défi de l'homme n'est-il donc pas de créer un travailleur
augmenté qui soit complémentaire de l'intelligence artificielle ?
« Le travail et l'emploi ont toujours été transformés par
la création d'outils. À chaque fois, la technologie a à la fois
détruit et créé des emplois. En général, le bilan est largement
positif, répond Raja Chatila. Il y a néanmoins un décalage
temporel entre la destruction et la création, et ce ne sont pas
nécessairement les mêmes personnes qui gagnent d'un côté ce
qu'elles ont perdu de l'autre. Le développement de la robotique
et de l'IA va aussi créer des emplois. Je ne crois pas aux études
qui prédisent des pertes massives d'emplois. À mon sens, il y
aura des emplois qui vont disparaître et il y aura une augmentation
de la productivité grâce à ces technologies. »
« Le défi de l'entreprise augmentée sera de répartir les rôles dans l'interaction. Homme-cobot. »
Alexis Girin, Responsable de l'équipe robotique, cobotique, et réalité augmentée de l'IRT Jules Verne de Nantes.
L'entreprise va créer un surhomme à la capacité combinée du robot et de l'humain. Les deux sont complémentaires. Le robot est répétitif, endurant et bête, l'humain brouillon, peu endurant mais organisé, doté d'une capacité de réflexion et intelligent. Nous ne parlons pas ici d'un surhomme aux capacités cognitives augmentées, mais d'un surhomme aidé d'un cobot, ou robot collaboratif, qui exécutera les tâches où l'homme n'a pas de plus-value. Le robot va permettre précisément à l'homme de se recentrer sur cette plus-value. Le défi de l'entreprise augmentée sera donc de répartir les rôles dans l'interaction et de créer des HMI (interfaces homme-robot) compatibles avec le métier, donc utilisables par l'opérateur sans l'intermédiaire d'un roboticien. L'entreprise de demain sera façonnée par cette interaction. Le monde du travail et le fonctionnement exercé par l'homme en entreprise vont s'accompagner d'une montée en compétence obligatoire. Elle est rendue obligatoire par la concurrence entre l'homme augmenté, donc aidé d'un cobot, et l'homme non augmenté.
Que vaudraient les données sans l'homme ?
Arnaud Laroche
Associé EY
L'homme
est au centre de la production de données, à travers ses
interactions sociales, commerciales, comportementales... Toutes ces
données n'ont de valeur que par ce qu'on leur fait dire et par
les usages que l'on en fait. Le grand sujet est donc de savoir si
l'intelligence artificielle, qui consiste à reproduire les
mécanismes d'apprentissage du cerveau, va remplacer l'homme.
L'une des forces de l'homme reste sa capacité à se poser des
questions sur la disruption et sur sa place dans son environnement,
en intégrant une part de rationnel et d'irrationnel. Il n'est
pas sûr que l'on invente une machine qui sera capable de se poser
des questions sur elle-même ! Face au déferlement des données,
l'homme a besoin de la puissance de calcul de la machine, mais dans
un monde de plus en plus algorithmique, le danger serait de perdre la
main sur la manière d'allouer les ressources, en en donnant trop à
la machine et trop peu à l'homme. Ou alors que cette connaissance
se concentre entre les mains de quelques experts dont on peut espérer
qu'ils resteront bienveillants et pas seulement tournés vers leurs
intérêts personnels.
La
donnée est un actif qui a été trop longtemps négligé et qui est
devenu un enjeu majeur, au centre des questions sur la réputation,
la sécurité, la gouvernance... Si la data science n'est pensée
qu'à partir de l'algorithme, cela ne fonctionnera pas. Les
entreprises doivent être capables de faire travailler ensemble des
profils différents pour valoriser intellectuellement leurs données,
mettre l'entreprise en mouvement et animer tout un écosystème.
L'approche par la data permet de piloter la gestion de l'entreprise, de détecter les dysfonctionnements, d'adapter la politique de prix des produits... Dans le retail, les sujets sur l'adaptation du niveau des prix des produits vont devenir de plus en plus importants. Sur le volet des ressources humaines, la data permet de modéliser le corps social de l'entreprise, les flux métiers ou encore les parcours professionnels.
Comment protéger les données personnelles dans un monde de plus en plus connecté ?
Fabrice Naftalski
Avocat associé EY
Le
cadre juridique autour de la protection des données personnelles se
renforce en Europe et partout dans le monde, du fait d'une plus
grande sensibilisation des personnes concernées et des régulateurs.
À charge pour les entreprises de respecter ces valeurs éthiques et
de mettre en place un contrôle de conformité dans le temps. Il en
va de leur réputation et de la confiance qu'ils veulent instaurer
avec leurs clients.
Sur le marché des objets connectés, la
multiplication des acteurs soulève un enjeu de traçabilité de la
donnée et des acteurs qui la gèrent, mais aussi de contrôle de
leur utilisation. Le premier écueil vient souvent du fait que
l'information sur ce qui est fait des données récoltées n'est
pas suffisamment claire. Dans les applications, on ne sait pas
toujours qui va y avoir accès... En cas de demande de suppression,
comment être certain que ce que le fabricant supprime sera supprimé
par l'ensemble des acteurs de la chaîne ?
En matière de
sécurité, la circulation de la donnée facilite les tentatives de
hacking. Le nouveau règlement européen sur les données
personnelles, qui sera d'application directe en mai 2018, va
imposer beaucoup de nouvelles obligations. Il prévoit d'informer
des failles de sécurité sous 72 heures, mais les entreprises
mettent parfois plusieurs semaines ou plusieurs mois avant
d'identifier une intrusion. D'où l'importance du concept de
« Privacy by Design », qui incorpore la protection des
données personnelles dès la conception du produit et lors de la
première collecte des données. La certification par un tiers pourra
aussi rassurer le consommateur car ces tiers seront vigilants sur la
sécurité et sur la collecte des consentements.
Les robots sont-ils les nouveaux assistants des salariés ?
Chris Lamberton
Robotic Process Automation Leader for EY
Chris Lamberton – Dans la grande
majorité des entreprises, une bonne partie des salariés se consacre
à des tâches vraiment très simples – et pas très
passionnantes –, comme la saisie de données et le classement.
Il y a une vingtaine d'années, beaucoup d'entreprises
cherchaient à délocaliser ces tâches. Aujourd'hui, les robots
peuvent réaliser le même travail sur un ordinateur de bureau ou un
portable.
Un robot se révèle plus efficace à
bien des égards, il peut fonctionner 24 heures sur 24, ne se
plaint jamais, ne tombe pas malade, et il n'oublie jamais
d'accomplir les tâches qui lui sont confiées. Les robots sont les
nouveaux assistants des humains, ils permettent de se concentrer sur
des tâches bien plus intéressantes.
La robotique peut servir à réduire
les coûts, mais elle peut aussi transformer l'activité et offrir
plus de valeur ajoutée. Elle renforce le potentiel de l'entreprise
en réalisant des tâches qui n'étaient pas envisageables
auparavant, ou en améliorant certaines activités comme les services
aux clients.
Et
quand une entreprise optimise ses ressources humaines, cela engendre
une croissance de ses revenus.
Nous entrons tout juste dans la
deuxième ère de la robotique, avec des robots cognitifs qui
commencent à assumer des prestations ne nécessitant pas
d'intervention humaine, par exemple quand on veut interroger un
système de demande d'informations.
Pour les robots, la prochaine étape
consistera à comprendre les règles des processus grâce à la
robotique cognitive, l'apprentissage automatique et l'intelligence
artificielle.
La plupart des entreprises en sont
encore à la première phase, avec des robots qui réalisent des
tâches simples en automatisant les vieux processus. Nous pouvons à
présent numériser d'anciennes technologies en à peine quelques
semaines, les robots rendent l'opération peu coûteuse.
Nous poussons les entreprises vers la
deuxième phase, celle de la prestation de services. Il n'y a
aucune excuse : chaque entreprise doit devenir une entreprise
numérique.
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