Les données de santé, nouveau continent de valeur
Propos recueillis par la rédaction de Questions de transformation - 10 juillet 2018
Inscrivez-vous
à la newsletter
à la newsletter
Les données de santé ouvrent de nouveaux gisements de valeur tout au long du parcours de soin. Aux côtés des acteurs traditionnels, des géants du numérique, américains et chinois, et des biotechs entrent sur le marché de la santé. Ces bouleversements s'accompagnent déjà de règles juridiques et de réflexions éthiques, mais les cadres restent encore largement à construire.
Plus les données sont riches, plus leur valeur augmente
D'innombrables sources de données existent. Les données médico-administratives d'abord, comme celles de l'assurance maladie ; les données médicales et cliniques ; les données génomiques ; les données comportementales, comme la localisation, la propension à fumer, à boire, à faire du sport, qui proviennent des objets connectés et des échanges sur les réseaux sociaux...Plus les données sont riches, plus leur valeur augmente. La richesse des bases de données réside dans la quantité de données mais aussi dans leur qualité, et surtout de comment on réussira à les exploiter. C'est aujourd'hui le principal défi. Car toutes ces données sont de formats et de typologies différents. Il faut parvenir à les collecter, les traiter, les interconnecter, et les partager. Pour y parvenir, la solution réside dans la création de plateformes de données. Exemple avec le Reliant Medical Group (RMG), dans le Massachusetts, aux États-Unis. « Nous, les docteurs, partageons tous un unique système de dossier médical », se réjouit Lawrence Garber, médecin et directeur médical des systèmes informatiques de RMG. La structure totalise 2 700 employés dont 500 praticiens, pour plus de 300 000 patients. L’organisation met à disposition des malades un portail où ils retrouvent toutes leurs analyses, leurs prescriptions, leurs échéances... « Les gens reçoivent en particulier des rappels de leurs obligations d’examen le jour de leur anniversaire, ajoute Lawrence Garber. Ils sont bien plus attentifs à leur santé lorsqu’ils prennent conscience qu’ils vieillissent. » Le système envoie aussi des notifications ciblées aux médecins. « Je peux diriger mes efforts vers les patients qui manquent le plus de soins. » RMG est en interface avec sept hôpitaux du Massachusetts, et les principales assurances de santé des États-Unis. Si un patient se blesse à l’autre bout du pays par exemple, il peut quand même retrouver son dossier complet. RMG a réussi à développer la grande majorité de son informatique en interne, depuis plus de 15 ans. 50 personnes y travaillent à plein temps. « Cette internalisation nous fait réaliser d’énormes économies sur nos développements actuels », affirme le médecin et directeur informatique.
Unicancer, la fédération hospitalière dédiée à la lutte contre le cancer, a mis en place deux plateformes, ESME et ConSoRe. ESME centralise les données de vie réelle des patients. L'objectif est de décrire à grande échelle et au cours du temps leur prise en charge et les stratégies thérapeutiques. Unicancer a déjà constitué trois bases de données : pour le cancer du sein métastatique, de l'ovaire et du poumon, avec respectivement 30 000, 14 000 et 26 000 patients attendus. L'organisme a signé des partenariats avec Roche, Pierre Fabre, Pfizer et AstraZeneca, et, en 2018, MSD France et EIS. Quant à ConSoRe, pour Continuum Soins-Recherche, il s'agit d'un moteur de recherche d'informations entre les Centres de lutte contre le cancer. L'objectif est de créer des cohortes de patients et de comparer leurs traitements. 10 centres sur 20 utilisent déjà ConSoRe.
Plus largement, dans toutes les thérapies, « les données permettent la médecine de précision », témoigne Kristin Pothier, Global Head of Life Sciences chez EY Parthenon, qui a publié Personalizing Precision Medicine : A Global Voyage from Vision to Reality (voir son éclairage). « On voit émerger progressivement l'idée d'un parcours de santé optimal, dont la coordination est enfin reconnue comme un élément clef de la prise en charge », complète Jean-François Brochard, président de Roche Pharma France. Son laboratoire et la société de services du numérique Advanced Schema ont d'ailleurs lancé en mai 2017 Connexin, un service destiné à optimiser la coordination tout au long du parcours de soins.

« Le gain financier doit être trouvé dans le système lui-même et dans une lutte contre les gaspillages. »
- président de Roche Pharma France
- président de Roche Pharma France
L'usage de données implique de nouveaux business models. « Les laboratoires et les autres acteurs verront de plus en plus la valeur de leurs prestations reliée à leurs performances réelles », affirme Cédric Foray, associé EY Parthenon (voir son éclairage). Le fabricant de matériel médical Medtronic et l'assureur Aetna ont par exemple annoncé en juin 2017 qu'ils allaient lier le remboursement des pompes à insuline au franchissement de certains seuils cliniques chez les diabétiques. À RMG, plus de 70 % des patients ont opté pour des facturations variables en fonction de leur satisfaction. « C’est parce que nous disposons de tout notre panel de données qualitatives et de tout notre écosystème médical multi-spécialités que nous avons pu mettre en place ce type de calcul, expose Lawrence Garber. Nous pouvons contrôler les avis des patients et comprendre précisément les éventuels problèmes. »
Course ou coopération ?
Le big data a dynamité les frontières de la santé. De nouveaux acteurs ont fait leur entrée : en bref, des géants du numérique et des start-up du numérique. Ils captent une bonne partie de la valeur des données de santé. Et chacun pénètre le marché par un angle différent. Amazon a lancé une réflexion autour de l'assurance santé pour ses dizaines de milliers de salariés américains, en partenariat avec JPMorgan et Berkshire Hathaway (la société de Warren Buffett). Google, par sa filiale Verily, développe, entre autres, plusieurs projets de traitement de données patients et de médecine de précision. Apple est entré par le bien-être en proposant un suivi de l'activité physique, du sommeil, par ses montres connectées ou ses iPhone. Microsoft a promis en 2016 de vaincre le cancer d'ici à 10 ans en utilisant le machine learning.De l'autre côté du Pacifique, en Chine, Alibaba développe depuis 2013 une solution d'identification des médicaments contrefaits. Baidu, le Google chinois, a créé Baidu Doctor, une filiale qui développe des solutions de mise en relation entre patients et médecins, et des outils pour les praticiens.
Et partout dans le monde, des start-up du numérique se créent, se développent et s'associent avec des laboratoires pharmaceutiques. Citons, dans le cas du diabète, Glooko, Livongo, Onduo qui se battent pour mettre au point des plateformes de données centrées autour du patient, avec pour objectif que les soins s'adaptent au patient et non l'inverse.
Dans ce fourmillement, les partenariats se multiplient. Depuis 2014, au moins 150 ont été signés entre des entreprises des sciences de la vie et d'autres acteurs du marché de la santé. Google, à lui seul, à travers Verily, collabore entre autres avec Sanofi, AstraZeneca, MSD, GSK et Johnson & Johnson. « Le développement d'outils d'intelligence artificielle performants passera par la collaboration entre technologues et professionnels de santé, résume Jean-François Brochard. Aussi, il est crucial de partager les données de santé, malgré les risques identifiés. »
L'État, entre régulation et usage
Un partage accru, c'est le sens de la mission Health Data Hub, lancée le 12 juin 2018 par la ministre des Solidarités et de la Santé et Stéphanie Combes, rapporteuse du projet pour le compte de la Drees et pilotée par trois experts, Dominique Polton, présidente de l'INDS, Marc Cuggia, professeur d'informatique médicale et praticien hospitalier au CHU de Rennes et Gilles Wainrib, fondateur de la start-up Owkin. L'objectif est double : construire une large base incluant les données médico-administratives du Système national des données de santé (SNDS), comme celles de l'Assurance Maladie, et des données cliniques ; et permettre un accès plus large à plus d'acteurs.Pour le moment, c’est la CNIL qui autorise l’accès au SNDS. Le nouveau dispositif en place depuis le 28 août 2017 permet à toute structure publique ou privée d'accéder aux données du SNDS, en déposant un projet de recherche, d’étude ou d'évaluation auprès de l’INDS qui transmet le dossier pour avis. Plus de 400 ont été soumis à juillet 2018. L’INDS a également pour mission d’évaluer, le cas échéant, l’intérêt public des projets, qui est une condition à l’accès aux données. L’INDS a eu à se prononcer sur sept projets ces derniers mois et ses conclusions ont été à chaque fois favorables. « Nous attendons en particulier de la transparence sur les objectifs et la méthode », détaille Yvanie Caillé, directrice de l’INDS. « La loi de santé du 26 janvier 2016 a défini deux lignes rouges à l’usage des données : la promotion des produits de santé en direction des professionnels de santé ; l’exclusion de garanties des contrats d’assurance ou la modification de cotisations ou de primes d’assurance pour des individus. »
Mais le SNDS ne représente qu'une infime partie des données de santé totales. Pour le reste, la situation juridique est complexe et mouvante. « Ces data se trouvent à l'intersection de plusieurs cadres juridiques, note Virginie Lefebvre-Dutilleul, avocate associée chez EY. Parmi eux, le RGPD est une chance, au sens où il donne un cadre juridique clair, et donc de la confiance. »

« Il n'y a pas forcément d'incompatibilité entre un intérêt commercial et un intérêt public. »
- directrice de l'INDS
- directrice de l'INDS
Cette centralisation autour du patient se fait jour aux États-Unis. « À la fin de l’année 2018, 90 % des hôpitaux et des praticiens seront branchés sur deux réseaux de partage de données, explique Lawrence Garber. L’un, Direct Messaging, permettra de transmettre des informations sécurisées entre n’importe quels confrères. L’autre, Carequality, rendra possibles les requêtes sur le dossier médical d’un patient dans les systèmes informatiques de n’importe quel hôpital. »
En France, le recentrage des données sur le patient se pratique déjà au sein des services hospitaliers, notamment pour lutter contre le gaspillage. « Les données de santé améliorent l'action des autorités de santé publique », remarque Loïc Chabanier, associé EY Projets et Stratégie IT dans la santé (voir son éclairage). La collectivité en a besoin. Selon une étude de la Fédération hospitalière de France en 2017, on observe de très fortes disparités géographiques entre les actes. Par exemple, les taux de césariennes pour 100 000 patients vont du simple au double selon les départements. La FHF conclut ainsi à des actes inutiles. Un sondage de 2012, toujours de la FHF, auprès de médecins hospitaliers et de ville estimait à 28 % le nombre d'actes inutiles.
A lire sur ey.com
À RMG, les frais médicaux sont 20 % moins chers que la moyenne du reste du Massachusetts.









